Nous sommes en France, bien entendu, et voilà qu'un nouveau scandale éclate - un de plus... Figurez-vous qu'on empoisonne les bébés ! Une certaine Mme de Bégon le clame depuis une dizaine d'années, et personne ne l'écoute ! "Pourquoi donc ne croit-on pas systématiquement les lanceurs d'alertes ?" se scandalisait ce midi un journaliste radio.Et d'évoquer le cas dramatique de Mme de Bégon qui vit dans un minuscule appartement avec ses trois enfants, et qui, malgré deux livres publiés, a été condamnée pour calomnie... On essuie une larme furtive, et on retient surtout qu'elle a été "investie d'un secret de fabrication", formule puissante et qui coupe court à la discussion.
Je ne doute pas que le scandale va être amplifié par les canaux habituels, qui vont évidemment agiter le chiffon "danger", mais s'abstenir du côté "risque". Explications.
L'oxyde d'éthylène est un puissant biocide, très utilisé pour stériliser le matériel médico-chirurgical (regardez simplement la pochette d'une seringue). Biocide puissant, ça signifie qu'il est évidemment toxique, et même classé cancérogène. Biocide puissant, car extrêmement réactif (l'atome d'oxygène formant pont entre les deux atome de carbone - on imagine la déformation orbitale ! 105kj/mole, c'est pas mal). Extrêmement réactif, et même envers l'eau très légèrement acide ou basique (par une attaque nucléophile pour être précis[*]) ; envers les protéines, n'en parlons même pas.
Un produit, donc, dangereux, c'est certain. Mais quel est le risque ? L'utilisation de ces biberons stérilisés au C2H4O - en Belgique, au moins - est réservée généralement aux enfants problématiques tels que les prématurés sérieux dont le système immunitaire est très déficient. Il est indispensable que ces biberons soient parfaitement stérilisés, et l'utilisation d'oxyde d'éthylène est d'autant plus à recommander que les traces du produit qui pourraient subsister sont immédiatement réduites (et détruites) par la nourriture qu'on introduit évidemment dans le biberon...
Mais voilà, on va encore sans nul doute assister à des documentaires télévisuels à la MMR (pas le vaccin, la Robin), des articles indignés dans Télérama, des dénonciations scandalisées dans toute la Presse.
Car on s'indigne, et de tout. Ce midi, c'était des écoliers de primaire et de maternelle qui s'indignaient de la saleté et de la criminalité de leur quartier, à Bruxelles. S'indigner est à la mode, et je comprends parfaitement les diplômés espagnols qui se scandalisent d'être au chômage. Mais substituer la morale au politique me semble déplorable. Encore peut-on comprendre la protestation de la Puerta del Sol, mais le "mouvement OWS", lui, est d'une confondante crétinerie. Pire qu'un rassemblement altermondialiste avec vendeurs de macramé. "Money is obsolete", proclame un panneau, tandis qu'un jeune homme explique doctement qu'il est indispensable de revenir à une économie de troc. "Good Bye, Banks, your time is over!" répond un autre, adepte du matelas aux billets de banque sans doute. Sans compter tout le reste de ce happening potache mais très écolo : on y recycle tout, et surtout les idées les plus imbéciles.
Mais là, je vais trop loin : il y a deux choses aujourd'hui sur lesquelles il est interdit d'ironiser, les indignés et Intouchables. Les Inrockuptibles avaient en son temps tiré à boulets rouges sur Amélie Poulain (enfin, le film, vous m'avez compris) accusé de représenter un monde sans immigrés ni lutte de classes, etc. C'était à mon sens un mauvais procès, dans la mesure où, effectivement, le film se déroulait dans un univers parallèle, comme il était aisé de s'en assurer. Intouchables, comme les Ch'tis, se passe aussi dans un monde parallèle, mais les cinéastes ne l'assument absolument pas. C'est bien plutôt le système Canada Dry à l'oeuvre : ça ressemble à la France, ça a la couleur de la France, mais ce n'est pas la France (ni aucun autre pays, d'ailleurs). Passons sur l'affligeante charge contre l'opéra et l'art contemporain (c'est une bonne vieille habitude assez démago, à l'oeuvre dans Musée haut Musée bas et, plus récemment, dans un film avec Poelvoorde et dont j'ai oublié le titre), passons aussi sur la technique filmique réduite à sa plus simple expression. Pourquoi ce succès ? Les Français auraient-ils tellement besoin d'un unanimisme factice ? Peut-être, mais alors les Belges aussi, car le film fait un tabac, ici !
[*] je suis chimiste de formation