(et voici son futur nouveau drapeau...)
Je ne comprends vraiment pas pourquoi ni comment les politiques francophones de ce pays refusent de voir les choses en face : les Flamands veulent l'indépendance de la République flamande, et quand bien même on alignerait sondage après sondage pour dire que non, enfin oui, c'est-à-dire pas tous, mais certainement une grande autonomie, etc. il n'en reste pas moins que tous les hommes politiques importants et, ce qui est nouveau, tous les éditorialistes flamands envisagent une scission avec sérieux, voire sympathie. Tordons tout de suite le cou à un mythe, celui de la "confédération" : notre prof de DIP nous avait bien rappelé qu'une confédération était une union politique d'Etats souverains, qu'il y en avait peu d'exemples dans l'histoire et que la Confédération helvétique n'en était pas une. On pourrait évidemment imaginer une telle confédération, mais alors postérieure à une indépendance d'un Etat flamand.
Qu'on m'entende bien : je n'ai nulle sympathie envers les récriminations nationalistes flamandes et je ne me réjouis pas de devoir envisager la scission du pays ; comme quasiment tous les Belges, j'ai de nombreux ascendants de tous bords - même espagnols - et la Flandre fait incontestablement partie de l'histoire européenne (la dénomination même de Flandre au quinzième siècle était assez vaste et surprenante pour les modernes que nous sommes). Je n'ai nulle sympathie pour les nationalismes quels qu'ils soient, mais je peux les comprendre lorsqu'il s'agit de défendre une langue, une culture qu'on estime menacées (sans parler évidemment des réactions de nations dominées - ce qui n'est tout de même pas le cas des Flamands). Alain Finkielkraut - avec lequel on peut parfaitement ne pas être toujours d'accord - nous rappelle dans de nombreux ouvrages la hantise de petites nations d'être absorbées par des voisins plus puissants, voire plus prestigieux. Le bilinguisme traditionnel des Flamands comme le monolinguisme regrettable des francophones ne s'explique pas autrement : Kafka écrivait en allemand, la grande majorité des Néerlandais et des Nordiques parlent couramment l'anglais, etc. Mais un ami Danois me rappelait que le danois était pour lui la plus belle langue du mondes, et il me le disait dans un anglais impeccable.
Il y a quelques jours, M. Eric Defoort - co-fondateur et homme éminent de la NVA - avait fait un tabac dans une émission de la VRT consacrée au plan B comme on l'appelle ici, soit la fameuse scission. On se souvient peut-être d'une autre émission de la RTBF cette fois, qui mettait en scène il y a quelques mois un coup d'Etat flamand proclamant unilatéralement l'indépendance du territoire, émission à mon point de vue parfaitement scandaleuse en ce qu'elle se présentait comme des nouvelles et non une fiction et qu'elle avait un ton ouvertement belgicain et assez anti-flamand (du moins anti-indépendantiste flamand, ce qui n'est pas le rôle d'un journaliste). Il confirmait bien sûr, et M. Bart De Wever également, que le but de la NVA était assurément de préparer à l'indépendance - à terme, cela va sans dire - et que les négociateurs n'accepteraient jamais que des petits pas menant à un tel but, et jamais au grand jamais la moindre concession revenant en arrière. Et les hommes politiques francophones n'écoutent pas, n'entendent pas. En ce qui concerne Bruxelles, M. Defoort était très clair : c'est la capitale de la Flandre, et il n'est pas question de la laisser tomber ; il ajoutait "en historien" No taxation without representation, ce qui en l'occurrence était parfaitement à côté de la plaque pour employer une expression familière, et il prévenait que donc Bruxelles devait s'attendre à voir tous ses crédits (flamands) coupés, à voir toutes les institutions (flamandes) se retirer et devrait s'apprêter à financer les retraites des navetteurs flamands... Il le disait en ricanant.
Minute, papillon ! Les Wallons et les Bruxellois n'ont jamais à ma connaissance décidé de ne plus faire partie de la Belgique ; si les Flamands veulent fonder leur Etat propre - et qui leur nie le droit de le faire ? - ils ne peuvent empêcher ceux qui restent de continuer à être la Belgique, avec son siège à l'ONU et sa qualité de membre de l'UE, du Conseil de l'Europe, etc. Bien sûr, une telle indépendance acquise pacifiquement - il y a de nombreux précédents historiques d'un tel processus - suppose de longues négociations et de très nombreux traités. Voilà à quoi la classe politique francophone devrait s'atteler ; après, la République flamande devra demander son adhésion à l'UE (bonne chance...), au CdE, à l'ONU etc. mais ce n'est plus l'affaire de la Belgique. El l'historien en peau de lapin devrait peut-être méditer sur les innombrables pays qui ont compris que l'indépendance ne signifiait pas un afflux de richesse ; certes le départ de la Flandre de Bruxelles sera coûteux, mais on n'achète pas son indépendance et s'il le faut, je ne doute pas que les Bruxellois chasseront ceux qui voudraient s'accrocher. Tout cela bien sûr parce que les Flamands (on me comprend) n'ont jamais accepté le fait que la Région de Bruxelles-capitale est précisément cela, une région à part entière ; pour eux, Bruxelles est une ville, et une ville flamande en plus. Ils se trompent, et les menaces de M. Defoort tombent mal : il n'est évidemment pas question de payer les retraites de navetteurs dont justement on se plaint qu'ils acquittent leurs taxes dans leur région d'origine (no representation without taxation, M. Defoort !), et a fortiori s'ils résident dans un Etat étranger...
Oh, certes, j'ai des amis artistes qui manifestent bruyamment contre ce plan B. Des scientifiques aussi. J'avoue ne pas les comprendre, car, n'ayons pas peur des platitudes, l'art n'a pas de frontières - c'est un peu différent pour la science à cause des sommes colossales en jeu, mais justement, on voit avec des réalisations comme le CERN, ITER, etc. qu'il y a moyen de passer par-dessus ce genre de problèmes, au moins en partie. Et quand je dis "pas de frontières", c'est d'un évidence absolue : je n'hésite pas à écouter un opéra à Glyndebourne, à voir une exposition à Berlin ou à courir à Art Basel (à Bâle ou à Miami). Ce qui me ferait hésiter, c'est le coût du voyage, pas le fait qu'il faille franchir des frontières. S'il faut le faire pour aller écouter un concert à Anvers, je m'en soucie comme d'une guigne.
Il y a tout de même un gros problème qui reste : tout cela me semble tellement limpide que je ne comprends diable pas comment tout le monde ne pense pas comme moi... Où donc me trompé-je ?...