C'est un article de Cécile Ducourtieux dans Le Monde du jeudi 3 novembre, article très bien documenté, honnête, critique, du vrai travail de journaliste comme hélas on en voit trop peu, lors que les journalistes ont de plus en plus tendance à recopier les dépêches de Presse ou à relayer les éternels mêmes gourous militants. J'en publie une version raccourcie qui, je l'espère, vous donnera envie de lire l'original.
Bruxelles a un problème avec sa com. Ce n'est pas nouveau : depuis des -années, les journalistes en poste dans la capitale de l'Europe sont invités à intervenir dans des débats sur " Comment parler d'Europe ? ". Mais avec le " bug " du CETA, la difficulté de la -Commission à trouver les bons -arguments et à se faire entendre est apparue encore plus crûment que d'habitude.
Quand il s'est avéré, mi-octobre, que les Wallons entendaient bloquer le processus de signature du traité commercial entre l'Union européenne et le Canada aussi longtemps que leurs réserves à son sujet ne seraient pas entendues, la Commission a d'abord -dégainé ses éléments de langage sur le sujet, d'une portée médiatique nulle ou quasi : " Le CETA est le meilleur accord possible. "
Elle s'est ensuite prise en pleine figure les politiques belges, à -commencer par le socialiste Paul Magnette, le très habile ministre-président wallon. Et toute la twittosphère anti-CETA, qui rodait ses arguments contre cet accord, le traité commercial avec les Etats-Unis (TTIP) et le libre-échange depuis trois ans. Avec des slogans chocs en 140 signes (" Non au poulet au chlore ", " Non au bœuf aux hormones ") et des photos symboles, dont celle du " cheval de Troie " (" CETA : cheval de Troie du TTIP "), une baudruche géante qui a écumé les manifestations " No CETA, no TTIP " ces derniers mois.
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La commissaire au commerce, la Suédoise Cecilia Malmström, une libérale convaincue, a fait beaucoup de " pédagogie ". Depuis deux ans qu'elle est en poste, elle a mené une vraie croisade pour -rendre les négociations plus transparentes. Elle a aussi proposé, pour le CETA, une réforme garantissant des tribunaux d'arbitrage des différends entre les multinationales et les Etats bien plus indépendants du " big business " que les juridictions existantes.
" Mais quoi qu'on fasse, quoi qu'on dise, rien n'imprime ", constatent, frustrés, les fonctionnaires de la DG Trade, la puissante administration au service de la commissaire. Le poulet au chlore, les OGM ? Non, le CETA n'autorise pas qu'ils puissent être importés dans l'Union. C'est écrit noir sur blanc dans le traité signé dimanche 30 octobre par l'UE et le Canada. Les droits humains, les services publics, le principe de précaution ? Oui, évidemment, ils seront préservés. Là encore, c'est écrit en toutes lettres, et c'est même surligné dans la " note interprétative " -obtenue mi-octobre par les Au-trichiens, les Allemands et les Luxembourgeois (eux aussi avaient des réticences), et que les Wallons sont parvenus à amender.
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Surtout que certains [arguments] sont en partie inavouables : si Bruxelles tient tant aux tribunaux d'arbitrage dans le CETA, c'est moins parce qu'ils sont nécessaires pour commercer avec le Canada (un pays " ami ") que pour créer un précédent et mieux imposer ces tribunaux dans des accords -ultérieurs ayant vraiment besoin de cette justice indépendante des Etats (Chine, Philippines…).
Comment s'opposer à des contrevérités mâtinées de " Bruxelles bashing " permanent ?
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Jean-Claude Juncker, le président de l'institution, n'est pas chef d'un Etat, ses commissaires ne sont pas des ministres : ils sont là " pour rendre service aux pays membres ". Ils doivent en permanence -ménager les sensibilités, les priorités de vingt-huit gouvernements différents.
Le libre-échange devenu symbole de la mondialisation malheureuse ? Si les opinions publiques wallonnes, françaises ou allemandes se sont emparées du sujet, les Suédois, les Danois ou les Finlandais ne voient même pas le problème. La Commission doit aussi s'adresser à ces citoyens et à leurs gouvernants.
Parfois, l'institution abandonne brièvement la langue de bois. " Personne ne proteste quand on signe un accord commercial avec la grande démocratie vietnamienne, alors que tout le monde dénonce l'accord avec la terrible dictature canadienne ", a fini par lancer M. Juncker, visiblement excédé par l'hystérisation du débat. Mais la remarque est passée presque inaperçue : décourageant…
Corps politique mais surtout grosse technostructure, la Commission – et ses milliers de fonctionnaires génération Erasmus – est aussi victime de la perte de confiance dans la presse, les politiques, les " élites " en général. Elle a beau argumenter, imprimer des tonnes de brochures ultra-documentées, elle reste inaudible. Pire : suspecte.
Il faut dire qu'elle prête le flanc à la critique : oui, la Commission avance en déroulant un agenda libéral, parachevant depuis trente ans le marché unique. Une stratégie et des soubassements idéologiques pas vraiment pensés ni remis en question. Pourquoi conclure à tout prix ces accords commerciaux ? Que m'apporteront-ils à moi, citoyen lambda ?
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La Commission Juncker, en pleine prise de conscience, tente de construire une communication plus convaincante, pro-libre-échange d'un côté, et poussant de l'autre côté à une plus grande protection des emplois et des entreprises vis-à-vis des pays importateurs, au premier rang desquels la Chine. Mais c'est dur de trouver les accents de la sincérité quand le fossé entre Bruxelles et les " peuples " s'est à ce point creusé.
par cécile ducourtieux