Lors d'un récent vernissage d'une amie dans une librairie, j'ai acheté un livre de Simon Leys, Le studio de l'inutilité.
J'aime toujours lire Simon Leys, même et surtout si j'ai (en toute humilité) certaines divergences avec lui (llah rahmo). Mais je lisais chez lui un petit texte concernant le philosophe-sic Alain Badiou, oui, celui-là même qui célébrait la prise de Phnom Penh et du Cambodge par Pol Pot et sa bande de massacreurs fous furieux. Je cite Badiou cité par Leys :
"S'agissant de figures comme Robespierre, Saint-Just, Babeuf, Blanqui, Bakounine, Marx, Engels, Trotski, Rosa Luxemburg, Staline, Mao Zedong, Chou En-lai, Tito, Enver Hoxha, Guevara et quelques autres, il est capital de ne rien céder au contexte de criminalisation et d'anecdotes ébouriffantes dans lesquelles depuis toujours la réaction tente de les enclore et de les annuler."
J'avoue être moi-même ébouriffé de voir Blanqui et Bakounine, figures majeures de l'anarchisme, mêlés avec des, disons, communistes, et de voir Mao assimilé en quelque sorte avec Zhou (pas "Chou")... Sans parler de Tito !
Simon Leys ne connaissait pas Badiou, apparemment, mais il se scandalise (en ricanant) qu'il n'ait pas inclus Pol Pot dans sa liste !
Je connais Alain Badiou qui vient jusqu'ici à Bruxelles pour faire des conférences, lui l'abominable salopard thuriféraire des pires ordures de l'humanité !
Badiou, salaud, le peuple aura ta peau ! (nanananère).
Ce que j'aime chez Bruckner et Revel (et dans une moindre mesure, chez Lipovetsky, encore que sa lumineuse Esthétisation du Monde m'ait réellement fait découvrir tant de choses que je devinais vaguement dans un domaine qui m'est cher) c'est que ce sont des philosophes que je parviens à comprendre. J'ai toujours admis et reconnu que le discours philosophique me semblait opaque, ou tout simplement que je n'avais pas la fibre philosophique... la fibre, ou l'entendement. Chacun a ses limites, j'ai les miennes, cela va sans dire. Mais ce qui me gêne dans le discours philosophique est la valeur accordée à des termes jamais définis et fluctuant selon l'auteur, ce qui permet de dire à chacun qu'il détient la vérité contre les Autres. Rien ne permet de trancher, ou même de savoir de quoi on parle vraiment.
Rien de tel chez mes auteurs préférés, et je me bornerai à citer une fois encore le livre de Bruckner :
"L'utopiste Charles Fourier ne proposait-il pas de multiplier les voies lactées, projection lumineuse de l'activité séminale des h(sic)ommes en accélérant les unions amoureuses ? Ainsi résoudrait-on le problème de l'éclairage des grandes villes, la nuit, pourvu qu'hommes et femmes s'accouplent sans cesse et (moins de 16 ans, s'abstenir) de toutes les façons possibles. (C'est une proposition qu'il faudrait soumettre sans tarder au Secrétaire général de l'ONU)."
E cosi' via, le livre est plein de tels ricanements...
Si vous ne l'avez déjà lu, faites-le !
Gute Shabbes
En relisant (*) le beau livre de Pascal Bruckner : Le fanatisme de l'Apocalypse, que j'ai déjà cité ici, je tombe sur ces deux citations :
"Luther : les bêtes venimeuses, les carnassiers sont la conséquence de nos péchés. Une fois le jugement dernier prononcé, elles deviendront jolies, aimables et caressantes, des petits chiens gambaderont dont la peau sera d'or et les poils des pierres précieuses (Luther, Propos de table cité in Jean Delumeau, Histoire de la peur en Occident, Pluriel, 1978)"
et
"Dans le communisme, l'h(sic)omme deviendra incomparablement plus fort, plus sage, plus subtil. Son corps deviendra plus harmonieux, ses mouvements mieux rythmés, sa voix plus mélodieuse. Les formes de son existence acquerront une qualité puissamment dramatique. L'h(re-sic) moyen atteindra la taille d'un Aristote, d'un Goethe, d'un Marx. Et au-dessus de ces hauteurs s'élèveront de nouveaux sommets(Léon Trotzky, Littérature et Révolution, 1924)".
Fort bien. Je ne doute pas que Luther y croyait, et d'ailleurs toute la "littérature" des Témoins de Jehova dépeint le même tableau. Par contre, qu'il me soit permis d'en douter pour ce qui est de Léon le Terrible, un homme d'une intelligence exceptionnelle - d'une intelligence exceptionnelle, certes mais qui n'aurait sans doute en rien cédé à l'ignoble bourreau qu'était Staline s'il avait eu la main : demandez aux marins de Cronstadt... - celui qui avait dit de Souvarine "On jette un homme à la mer et on passe à l'ordre du jour". J'avais écrit erronément dans un post précédent que cette apostrophe terrible s'adressait à Malraux, mais en fait, Trotzky avait eu une phrase encore plus dure envers lui (Garine étant dans Les Conquérants un avatar de Malraux, évidemment, ou plus exactement du Malraux qu'il aurait voulu lui-même incarner, pur révolutionnaire droit dans ses bottes, par opposition à un simple bureaucrate comme Borodine ou à un terroriste un peu fou comme Hong) : "Après avoir lu l'article de M. Malraux, je dois apporter une correction à mon précédent article: j'avais écrit que l'inoculation du marxisme à Garine lui serait utile. Je ne le pense plus".
(*) Même si je ne veux pas le moins du monde me comparer à Léautaud avec lequel j'ai partagé l'amour des chats mais pas la haine des humains, j'ai aimé sa joie à lire relativement peu (enfin, peu, c'est beaucoup dire...) mais à relire de nombreuses fois les mêmes livres sans pouvoir en épuiser le sens. Il en va de même pour le cinéma dont je suis assez glouton. D'autre part, je suis désolé de ne savoir comment orthographier Trotski, Trotzky, Trotsky...