Ayant eu le bonheur relatif de devenir grand-père très récemment, j'ai pu apprécier à quel point la reproduction humaine était une activité commerciale extraordinairement lucrative - ou, à tout le moins, compétitive. Ma fille a reçu durant sa grossesse une quantitié prodigieuse d'échantillons, de magazines, de proposition d'abonnement à divers services, et ce jusqu'à son séjour en clinique, où elle a reçu une boîte rose, une boîte orange et une boîte bleue contenant chacune les échantillons habituels, ça va sans dire, mais aussi des publicités pour plein d'objets curieux, intéressants ou proprement fantastiques, comme ce Nespresso pour nourrissons qui, à la place de café, délivre un biberon à la température idoine. Bref, cette fameuse société de consommation, mais on acceptera peut-être que c'est pour la bonne cause...
Je ne passerai pas sous silence l'industrie des jouets, des cadeaux, des livres, des layettes, des vêtements, les catalogues épais comme des bottins offrant (enfin, je me comprends) berceaux, poussettes, parcs, matelas, coussins, tables à langer, meubles divers et spécialisés...
Les cadeaux... Ah ça, les poupées, les peluches, les marionnettes à un doigt, les livres de conseil, les peluches à musique, les tapis d'éveil, les lampes magiques, c'est tout juste si je n'ai pas dû prendre une camionnette pour vider sa chambre ; deux voitures ont (à peine) suffi.
Les livres de conseil aux parents : très bien fichus, en général, je les feuillette ça, oui, tiens ! ça je n'y avais pas pensé, etc. Et puis je tombe sur la toilette de l'enfant, dès qu'il est en âge de comprendre. "Apprenez-lui à ne pas gaspiller l'eau quand il se lave". Ben oui, gaspiller, c'est idiot, même si c'est une coutume immémoriale et une des grandes découvertes de la sociologie. "Dites-lui que, dans le monde, il y a beaucoup d'enfants qui n'ont pas assez d'eau etc.". Alors là, non. Refaire le coup du "mange tes épinards, il y a des petits Chinois qui meurent de faim", pas question. J'avais lu quelques jours plus tôt dans je ne sais plus quel canard les fameux conseils pour consommer moins d'eau, et l'inénarrable "mettez une brique dans la chasse d'eau", qui doit remonter à plus de cinquante ans, quand on trouvait facilement des briques et que le volume d'eau des chasses n'était pas réglable, mais ça, c'était dans la rubrique "faire des économies". Je ne gaspille pas mon eau parce que je la paye, mais je suis prêt à payer un peu plus pour mon confort, et l'idée de prendre des douches en pointillés ("Navy shower") me déplaît. Pas une goutte de l'eau que je conserverais ainsi n'humecterait les lèvres d'un quelconque enfant éthiopien (et à ce propos, il vaudrait mieux essayer de comprendre les causes de ces pénuries, et pas seulement le déficit pluviométrique), mais bien sûr que les pleureuses habituelles me reprocheront mon confort scandaleux quand on voit la misère dans le monde, etc. Je ne sais si ça me scandalise (je n'aime pas ces attitudes moralisatrices, comme cette mode de s'indigner de tout et de rien), je dirais plutôt que ça me révulse, et je sais de quoi je parle. Et à ce propos, je me souviens d'une affichette dans une petite épicerie à Braine (Aisne) dans les années cinquante : "le gaspillage est une insulte à la misère" ; fort bien, mais déjà à mon âge tendre je trouvais que c'était la misère qui était une insulte à l'humanité. Il existe plein d'ONG non misérabilistes qui essayent de tirer les miséreux hors de leur misère et les faire accéder à plus de confort (le premier étant de survivre) ; si vous voulez contribuer, travaillez avec eux ou donnez-leur de l'argent. Voilà une manière intelligente de faire, et non symbolique comme la douche en pointillés.
Et toujours dans la rubrique "faites des économies", je me souviens de cette boutade : les lampes à incandescence sont un système de chauffage avec une lumière qui indique qu'il est en marche. Ah ah ah. D'où évidemment cette interdiction graduelle de ces machines diaboliques.
Un instant. C'est vrai que ces machines chauffent. Mon chauffage central également, mais lui brûle du mazout ; les lampes consomment 60% d'électricité nucléaire, donc (quasiment) neutre en CO2. En été les jours sont plus longs et la Belgique n'est pas un pays torride. Encore une fois, mon électricité, je la paye, et je ne vois pas pourquoi les bureaucrates ont à faire mes arbitrages. Les ampoules néon existaient depuis des années et leur succès était très limité ; on peut se demander pourquoi... On nous les impose du jour au lendemain et personne ne proteste contre leur laideur, leur lenteur d'allumage, leur prix, etc. C'est vrai que tous les magazines de consommateurs nous vantaient leurs mérites (cher mais tellement durable ! vous faites des économies, etc.), mais ça ne prenait pas. On a resservi la fameuse affaire du cartel des fabricants d'ampoules électriques dans les années 20 qui a été bien décrite ici et ici comme étant bien autre chose que ce qu'on pense généralement quand on parle d'obsolescence programmée, cet autre serpent de mer chouchou des télévisions, et ce pour nous prouver qu'on se faisait escroquer. Mais ça ne rendait pas ces fichues ampoules néon plus sympathiques. Alors ? Ben, un passage en force : on interdit.
Je suppose que la Commission (et le Parlement) interdira la vente de baignoires à la prochaine catastrophe de sécheresse.
P.S. Y a pas qu'en Europe, au Canada ils ont les mêmes pleureuses/activistes