C'est un rituel en France pour les antilibéraux (qui se déchaînent à l'occasion d'une élection dont on entend
parler depuis quelque temps) de qualifier la pensée libérale de "simpliste" ou de "naïve", ce qui, par ailleurs n'est pas du tout la même chose.
La première chose à remarquer, c'est ce terme d'"antilibéraux" que se sont décerné différents groupes, de la gauche du PS aux Verts radicaux en passant pas tous les types de trotskystes (et dieu
sait qu'il en existe, en France) et les deux ou trois membres du PC qui restent (je suppose les Maos aux oubliettes, mais sait-on jamais). Tous altermondialistes, bien sûr, ça fait mieux
qu'antimondialistes pour des gens qui ont toujours le "Prolétaires de tous pays" à la bouche. Mais antilibéraux, par contre, pas alterlibéraux - pourtant, ça ferait plus riche ! Se définir en
terme d'opposition me semble étrange, d'autant que l'extrême droite est évidemment elle aussi farouchement antilibérale, tant pour le politique que pour l'économique. Mais enfin, si ces braves
gens en ont ainsi décidé, qu'il en soit fait selon leurs voeux.
Il va de soi que je ne désire pas refaire l'histoire des libéralismes, le sujet a été exposé en long et en large durant cette campagne présidentielle. Tout de même, cette qualification de
"simpliste" me laisse rêveur ; ayant toujours appris à privilégier les explications simples et surtout pas ad hoc, bref à manier le fameux rasoir d'Occam,
je ne comprends pas pourquoi il faudrait s'en garder en l'occurrence. Oh certes, dire que le marché arrange tout et à l'optimum* est un peu trop simple,
je l'accorde, mais après tout, n'est-ce pas aussi le mode de raisonnement par lequel on arrive à la démocratie ? Car la démocratie, elle aussi, est tout de même simpliste ! Je rappelle que les
démocraties antiques** recouraient au tirage au sort et à l'exercice direct du pouvoir ; plus personne ne propose un tel mécanisme, sauf peut-être quelques soixante-huitards attardés et sans
doute Gérard de Sélys. Non, on a trouvé mieux, et presque aussi simple : un Homme, une Voix. Et le tour est joué ? On dira que ça aussi, ça arrange tout et à l'optimum ? Pas vraiment, mais on a
essayé tant d'autres combinaisons (en dehors des dictatures pures et simples) : vote plural à la richesse, vote plural au nombre d'enfants, collèges restreints, et j'ajoute ceux-ci, et je
retranche ceux-là... Discussions sans fin, aucune théorisation possible, bref pure idéologie.
Un Homme, une Voix.
Donc, le marché pur et dur ? Non, pas plus qu'il n'y a en réalité un Homme, une Voix : il faut être majeur (et là on recommence à pinailler) et capable (on élimine les aliénés, les personnes
condamnées à la privation de leurs droits civiques, etc). Le marché s'encadre aussi, mais tout aussi légèrement. Si tout à coup les tribunaux se mettaient à priver un trop grand nombre de
justiciables de leurs droits politiques, on ne manquerait pas d'y regarder de plus près. L'économiste le plus libéral approuvera l'existence indispensable d'une autorité anti-trust, comme le
démocrate le plus sourcilleux admettra qu'il n'est pas bon d'entrer avec une arme dans un bureau de vote.
Qu'on m'entende bien : je ne dénonce pas de quelconques "effets pervers" du dirigisme, une telle dénonciation ayant généralement pour but de conforter le statu
quo, on le sait bien. Une hausse du SMIC entraîne quasi-mécaniquement une hausse du chômage chez les travailleurs non qualifiés (on l'estime en France à - en gros - 10.000 emplois détruits
par % de hausse du SMIC. Estimation faite par des économétristes bourgeois à la solde du grand capital peut-être, mais j'attends les chiffres des économéjoyeux prolétariens)***, voilà, il faut le
savoir. Est-ce la fin du SMIC ? Certainement pas ! Les mécanismes sont simples, mais ce qui est complexe, très complexe, c'est l'arbitrage. Et c'est là que le politique intervient.
Le libéralisme est très simple ; l'anarchisme aussi, et il y a une continuité très forte entre les deux...
*encore faudrait-il définir de quel optimum on parle...
**en fait, Athènes, et peu de temps. Les révolutionnaires de 1789 avaient généralement plus d'admiration pour Sparte, qui à nos yeux, n'est pas précisément une démocratie
***ceci mériterait d'être sérieusement
nuancé - j'y reviendrai. Voir aussi Cahuc et Zylberberg, Le chômage, fatalité ou nécessité ?, Flammarion, et spécialement le chapitre
3.