"C'est comme si la Nature se dressait face à l'homme et lui disait du haut de ses rouleaux déferlants de vingt mètres : 'Tu as voulu dissimuler le mal qui t'habite en l'assimilant à ma violence. Mais ma violence est pure, en-deçà de tes catégories de bien et de mal. Je te punis en prenant au mot l'assimulation que tu as faite entre tes instruments de mort et ma force immaculée. Péris donc par le tsunami !' ".
Cette prosopopée amphigourique au style supposé "noble" (on dit "Péris donc" et non "Crève, salope") est l'oeuvre d'un certain Jean-Pierre Dupuy qui eut les honneurs du Monde (20-21 mars 2011). Inutile de relever la complète crétinerie d'un personnage (la "Nature") axiologiquement neutre - et même agnostique, mais qui "punit" - on ne sait d'ailleurs pas trop bien de quoi. Il s'agit en fait d'une vieille tentative de rejeter la catastrophe sur les péchés humains, c'est vieux comme le monde et ça marche toujours. En somme le Dupuy utilise les mêmes méthodes que les prêcheurs cathodiques américains qui expliquent Katrina ou Isaac par l'ouverture d'une boîte de strip-tease ou le mariage homosexuel ; pour l'un c'est les dieux, pour l'autre la nature courroucée, et on connaît Deus sive Natura (*).
Je relisait ces âneries dans Le fanatisme de l'Apocalypse de Bruckner, où j'étais aussi tombé sur une autre perle rigolote, à la page 99, les 183 fins du Monde annoncées depuis Nostradamus, dont celle mettant en branle le fameux bug de l'an 2000, agitée par un philosophe fameux et fumeux, Paul Virilio, digne émule des Illich et consorts. Plus exactement, les tenants de cette fameuse et fumeuse appréciation parlaient de la fin du Monde tel que nous le connaissons, (T)EOTWAWKI (The) End Of The World As We Know It. Pour paraphraser Houellebecq (**), Virilio est incompétent, c'est un fait, mais il en a vu d'autres. C'est un professionnel. On ne peut lui en vouloir (à Virilio) d'avoir écouté les prophètes du malheur de l'époque, et même ceux qui auraient dû savoir de quoi il retournait. Très ironiquement, on retrouve les mêmes "arguments", les mêmes mèmes, les mêmes expressions que nous servent aujourd'hui les catastrophistes du climat et/ou de l'économie : nightmare scenario, folly, greed and denial (voir ici l'article de Donna). Un journaliste pourtant bien coté, Robert Sam Anson n'a pas eu peur d'écrire que le Y2K bug pourrait provoquer la mort de 10 à 300 millions de personnes dans des nations "vulnérables", sans compter les procès civils qui, dans un pays comme les USA, coûteraient quelque chose comme mille milliards de dollars ; d'après lui (écrivant en 1999), l'Asie serait bientôt un burnt toast... Désastre annoncé, récession, conséquences effroyables, tout ça était à prévoir, et, comme il est de tradition dans le pays, de nombreux (je m'entends) Amerloques ont fait le plein de vivres, d'eau, d'armes et de munitions pour aller dans les forêts attendre l'Armageddon qui ne tarderait pas. Chris Dodd, sénateur démocrate du Connecticut avait bien prévenu son peuple : le 1er janvier 2001, ne soyez ni dans un ascenseur, ni dans un avion, ni à l'hôpital (et je me dois de dire que c'était le même sénateur qui en 2007 et 2008 agitait les mêmes frayeurs à propos du changement climatique, mais j'admets qu'on ne puisse se tromper qu'une fois dans sa vie, et je ne connais pas bien la biographie de ce monsieur).
On a vu. Plus exactement, on n'a rien vu.
Pardon, si, on a vu ; on a vu pas mal de gourous de secours (expression chouettement inventée si je ne me trompe par Michel de Pracontal) faire de lucratives conférences comme Peter de Jager ou Ed Yourdon qui se sont mis des millions de dollars en poche (oui, des millions de dollars, je n'exagère pas). Je ne connaissais pas de Jager, mais je connaissais bien Ed Yourdon, lui aussi parfaitement incompétent et parfaitement professionnel. Ses livres et son "Ed Yourdon Academy" faisaient venir le rouge aux joues des professionnels compétents. C'était de la viande de cochon. Et je dois reconnaître qu'en cette époque de Y2K et de passage à l'Euro, les informaticiens ont bien fait leur beurre...
Et qu'on ne me vienne pas seriner "Oui mais c'est grâce à eux, etc". FAUX. Je suis très bien placé pour savoir que de nombreux programmes et modules ne considéraient que les deux derniers chiffres des années - et aussi que certains avaient "oublié" que les années bissextiles ne se comptaient pas seulement (non solum sed etiam) en 4 ans mais aussi en périodes de 400 ans. Mais les bons analystes et les bons programmeurs en avaient déjà tenu compte. Certes, il y avait tout un souterrain de modules inconnus (comme, désolé de le dire, il y en a plein dans les modèles mathématiques faisant la vedette du GIEC, modèles ayant été développés depuis des décennies, sans aucun audit de validité. Dijkstra, Wirth, venez à notre aide !). Et grâce à leurs mânes, les ascenseurs et les avions ne se sont pas écrasés et les patients des hôpitaux sont restés vivants... On s'est mis au travail en sachant de quoi il s'agissait.
Pschitttt...
Cela dit, je découvre Lucien de Samosate grâce au merveilleux Lucien Jerphagnon, et c'est passionnant... Un sceptique au 2e siècle...
J'en parlerai, un jour, c'est merveilleux - c'est lui qui, à ma connaissance, a inventé l'histoire de l'apprenti-sorcier pour s'en moquer. Superbe ! Lisez-le !
(*) pour être exact, il faudrait écrire Deum sive Naturam, mais ce serait être pédant. Après tout, je déteste lire "les scenarii plutôt que le bon "scénarios"... Chacun a ses idées fixes !
(**) Extension du domaine de la lutte