Regardez autour de vous, lisez les journaux, écoutez la radio : partout, ce ne sont que désastres, malheurs, accidents, épidémies, catastrophes. La journée mondiale de l'obésité et le triste sort réservé à ces malheureux surpondéreux, la semaine des Plus Démunis et la monstration (assez complaisante) de toute la misère du monde, les réfugiés, les mongoliens, les phocomèles... On n'a pas assez de 24 heures par jour pour se tordre les mains, pour plaindre ces malheureux, pour essayer de venir à leur aide.
Plus moi. J'ai trouvé la solution, et à dire vrai je ne comprends pas comment je n'y avais pas pensé plus tôt. Je me suis tout simplement converti à l'hindouisme, et du coup, paf ! tout a disparu. Tenez, ce SDF hagard qui se promène entre les arbres du parc public, cherchant à manger un peu et se demandant où dormir, vous allez le plaindre ? Il a un mauvais karma, il a été très méchant dans une incarnation précédente, tant pis pour lui ! Mais vous lui donnez une petite pièce tout de même, car c'est bon pour votre karma. D'ailleurs vous, votre luxueux appartement de l'avenue Louise, votre magnifique maison de campagne et vos trois coûteuses limousines (plus un petit speeder pour le plaisir), ben vous y avez droit, pardi ! C'est votre bon karma ! Vous avez patiemment accumulé les bons points dans vos existences précédentes, et donc, bingo ! vous avez gagné le gros lot.
On le sait peut-être, j'ai acquis une certaine sympathie pour l'Inde, tardivement, je l'admets, et elle n'a rien du coup de bambou à la baba cool. Mais j'avoue que ce système de croyance - très vivace - me dégoûte un peu. Je pense souvent à ce monsieur T. que j'avais rencontré à Madras (enfin, Chennai pour être PC) où il avait fondé et dirigeait une école pour enfants des castes inférieures et des hors-caste, cela d'ailleurs avec l'appui généreux d'une vedette de cinéma très fortunée - dalit lui-même. Régulièrement, il recevait des menaces de mort, il était victime de vandalisme et même d'incendies, c'était pénible mais il continuait envers et contre tout. Soyons juste : il était hindouiste, lui aussi, et dévot en plus, mais il prétendait que c'était mal comprendre la religion que d'être impitoyable. Il faut croire que son point de vue était très minoritaire, mais heureusement une minorité même infime dans une population de plus d'un milliard d'Hommes, ça fait tout de même pas mal de monde. Mme J. à Bombay (pardon, Mumbai) dirige un Ashram fondé il y a plus de 150 ans pour accueillir les veuves chassées de chez elles après la mort de leur mari, tradition assez respectée puisqu'il était acquis depuis la plus haute antiquité que la femme était censée se précipiter dans le bûcher funéraire de son cher époux, et ce sort glorieux ne manque pas d'être signalé un peu partout dans les palais du Rajasthan par des petits écussons bien en vue. Eh bien, Mme J. est très éloquente en faveur du système des castes (il faut dire que sa famille est brahmane, alors...).
Notez, je dis hindouiste, mais je pourrais tout aussi bien dire bouddhiste, malgré toutes les fariboles du type ce n'est pas une religion, mais une philosophie, pure foutaise, c'est une religion, et dans le sens le plus étroit du terme. Ah bien sûr, quand on se pâme devant le Dalaï Lama en exaltant sa spiritualité, on parle d'autre chose, je suppose ; je le suppose car j'avoue n'avoir jamais compris le sens du mot "spiritualité". Et pourtant, j'ai essayé, je vous l'assure, mais chaque fois ça se dissolvait dans des textes brumeux et opaques à mes yeux. Contrairement à la grande majorité des catholiques, j'ai lu et relu la Bible - surtout le Nouveau Testament, d'ailleurs, et si quelque chose me paraît dépourvu de la moindre spiritualité, c'est bien les Evangiles (et surtout les synoptiques, moins chez Jean en partie à cause du fameux Au commencement était le logos etc. qui doit certainement être de la spiritualité puisque je ne comprend pas ce que ça veut dire). C'est un étonnant fatras d'anecdotes, d'historiettes fortement teintées de superstition, avec des considérations d'une morale de grand chemin, d'ailleurs contradictoires, on y trouve un peu tout ce qu'on veut.
Une dernière anecdote avant la route, celle d'une petite fille chinoise de quatre ans avec deux pieds bots qui se languissait dans un orphelinat de Shanghai. Un couple belge vint l'adopter, c'était en 1993, la Chine s'ouvrait tout juste aux adoptions. La directrice du Home et toutes ses collaboratrices (il n'y avait que des femmes, sauf le comptable et le concierge) firent fête aux adoptants, et le bruit courut bien vite : cette petite fille avait un bon karma. C'était en Chine communiste, et en 1993.