650 millions de malades, environ deux millions de morts par an, la malaria est et reste un peste à la surface de la Terre. On
oublie un peu facilement que ce fléau sévissait jusqu'à très récemment dans tout le bassin méditerranéen - le fameux assèchement des marais pontins n'avait touché qu'une partie de l'Italie
impaludée, à un coût astronomique (c'était une question de prestige aussi pour Mussolini). Mais toute l'Asie et le sud des USA étaient également contaminés. Il a suffi de quelques années
pour purger une grande partie du monde de cette maladie. Comment donc ?
Vous le savez bien, mais pour l'expliquer, il faut prononcer un très vilain mot : DDT. Ce produit avait été découvert fortuitement à la fin des années '30 par un chimiste suisse, Paul Müller.
Comme il semblait vraiment miraculeux - extrêmement efficace, facile et bon marché à produire - et que les scientifiques sont réticents envers les miracles, on le testa : d'abord sur les animaux
de laboratoire courants, puis sur des volontaires humains. Résultat ? Très peu toxique.
Et donc, dès la fin de la guerre (à l'attention de mes jeunes lecteurs, je précise que je parle évidemment de la WWII), on se mit à assainir à tout-va. Enfin non, justement pas à tout-va. On
avait constaté que les moustiques repus du sang de leur victime (ça fait un peu Romero ou Carpenter, non ?) se posaient à la verticale - généralement sur un mur - pour digérer leur festin, et ce
durant plusieurs heures. Il suffisait donc de vaporiser du DDT sur les murs intérieurs des maisons tous les six mois durant trois ou quatre ans pour se débarrasser du parasite véhiculé par les
moustiques, le Plasmodium . En quelques
années, la malaria fut éradiquée d'Europe, des USA, des Caraïbes et de nombreux pays d'Asie. Ainsi dans le cas de l'Inde, où la malaria tuait environ 800.000 personnes par an ; dès le début des
années '60 ce chiffre tombait pratiquement à zéro.
Miraculeux, non ? Ben oui, un peu trop tout de même. Pas pour Paul Müller qui reçut le Nobel de chimie en 1948, mais pour les agriculteurs, qui se ruèrent sur ce produit si efficace et bon marché
et se mirent à en déverser des tonnes sur leurs champs. Des milliers de tonnes. Et les animaux de laboratoire courants ne comprennent généralement pas les poissons ni les oiseaux, et surtout pas
les rapaces.
Enfin, Rachel Carson vint, et publia son célèbre "Silent
Spring", à la base de tout le mouvement environnemental moderne. Le DDT a une longue durée d'action ? C'est pratique pour le traitement (une vaporisation tous les six mois) mais
catastrophique pour l'environnement où il s'accumule (pour être précis, c'est un de ses dérivés, le DDE, qui semble responsable de sa toxicité), particulièrement dans les tissus graisseux. Et il
est extrêmement toxique pour les poissons et en général pour la vie aquatique (sauf celle de Steve Zissou, évidemment). Il semble acquis également qu'il fragilise considérablement les oeufs des
oiseaux contaminés, et spécialement ceux des rapaces, en haut de la chaîne de prédation.
Silent Spring mélange malheureusement le factuel avec l'apocalyptique, l'émotion avec la science - mais on n'utilise la science que lorsqu'elle se condamne elle-même - la prophétie et la
constatation. C'est réellement la Bible des écolos d'aujourd'hui, tout s'y trouve, même la citation d'une phrase de ses lectrices : "What is Man doing to our perfect and beautiful world
?". Un monde parfait et merveilleux, mais avec une dizaine de millions de morts du paludisme... Premier exemple de la "Litanie" selon B. Lomborg.
On envoya donc le DDT aux enfers, d'autant plus facilement que ses plus ardents défenseurs étaient un petit groupe d'économistes ultra-conservateurs dont les arguments pesaient assez peu au vu de
leurs accointances avec divers groupes industriels. Heureusement, il en avait d'autres, moins stridents mais plus crédibles. Il fallut attendre la fin du mandat de Gro Harlem Brundtland à la tête
de l'OMS pour qu'enfin on se rende à la raison.
Donc, tout compte fait, pas de miracle, mais de nombreux morts, et tout cela par ce même dogmatisme qui unit le WWF à Greenpeace, les catastrophistes et les croisés de l'anti-chlore (oui, c'est
une autre histoire que je vous conterai un jour : le chlore, c'est mauvais, très mauvais ! Et les dioxines, donc ! Oui, c'est vrai, mais c'est faux aussi...). Evidemment, c'est facile aujourd'hui
de regarder en arrière et de déplorer les mauvais choix faits sous la pression de l'opinion publique chauffée à blanc. Mais ce qui est regrettable, c'est de constater la persistance des
obstinés qui réclament toujours la fin finale du DDT - le dogme, encore et toujours.
Une dernière avant la route, un crypto-truisme : derrière chaque mesure de sécurité, il y a des cadavres. Ben oui...
P.S. Laurent Berthod a consacré un de ses posts au même sujet, où il montre preuves à l'appui que les pires
adversaires du DDT sont les néo-malthusiens à la Paul Ehrlich : le DDT
sauve des enfants qui surpeuplent la Terre... Laissons donc crever les pauvres...