Je reconnais ne pas être un Mac-man, et je me traînais déjà avec un ridicule "Windows" 3.1 très arriéré alors que d'autres jouaient avec un MacIntosh très en avance et - en plus - très design. Il n'y avait rien de très rationnel dans ce choix, je suppose que j'ai suivi la foule ; après tout, l'informatique n'était qu'un outil, je ne voulais en tirer ni distinction ni prestige, il me suffisait d'un traitement de textes et d'un tableur.Entre Steve Jobs et Bill Gates, pas de choix : Steve était un visionnaire et Bill avait eu la chance extraordinaire d'être choisi par IBM pour son MS-DOS qui était quelque peu misérable, du moins conceptuellement (je venais de Burroughs...) - mais au point de vue marketing, c'était autre chose. Plus tard, bien sûr, lorsque Apple devint le gourou des graphistes et que je commençai à m'aventurer de ce côté, je me trouvai un peu coincé, mais Adobe eut tôt fait d'adapter ses programmes aux plateformes Windows, tout comme Macromedia, et l'opposition Mac/Windows tourna bien vite à la querelle de religion. Aux pieds-plats de l'informatique grand public, Microsoft ! Aux élites graphiques, littéraires et musicales, Apple ! Je me faisais régulièrement regarder de haut par ma fille Mac qui ne jurait que par Final Cut alors qu'elle me regardait chipoter dans Premiere, puis elle se faisait à son tour crêper le chignon par mon autre fille Windows qui l'assurait que son Photoshop-W était bien plus étoffé et rapide que le Photoshop-M.
Mais il n'en reste pas moins que les élites intellectuelles, je le répète, étaient très anti-Gates et très pro-Mac, car elles étaient, justement, des élites, au-dessus de la foule, distinguées...
Puis, l'iPhone, l'iPod et l'iPad parurent. Succès foudroyant. Succès de masse. Le Mac avait toujours été nettement plus cher qu'un quelconque PC, l'iPhone restait tout de même à un prix assez élevé - proche tout de même de celui de ses concurrents - l'iPod était très accessible, et l'iPad fut un incroyable succès. Succès de masse. Alors qu'au lancement de l'iPhone, en sortir un de sa poche vous valait les sifflements admiratifs de votre entourage, il ne fallut pas très longtemps pour que le dernier des ploucs en exhibe dans les transports en commun. Et là, les élites intellectuelles commencèrent à changer d'avis. L'iPod ? Une machine à fabriquer des iZombies, et d'accuser Apple de causer l'aliénation de ces hordes de gens qui passent dans la rue avec leurs écouteurs aux oreilles. Tu parles ! C'est exactement le même procès qu'on avait fait au Walkman quasiment une génération auparavant ! Et puis on parlait de ces cas de suicides d'ouvriers chinois dans des usines assemblant des produits Apple (entre autres), ces "esclaves" à propos desquels Slate disait sous le titre 'The iPad Suicides' : "Devez-vous vous sentir responsable de toutes ces morts dans l'usine électronique chinoise ? Oui." Et, évidemment, le Guardian (dont les journalistes avaient par ailleurs été d'ardents Mackintoshistes jusque là) d'en remettre ad nauseam. Evidemment, une voix critique ne faisait pas beaucoup de bruit dans le tumulte, même si cette petite voix faisait remarquer qu'observer si peu de suicides dans une usine employant entre 3 et 400.000 ouvriers montrait qu'il valait bien mieux travailler là qu'ailleurs... Mais on sait qu'en général les journalistes n'ont qu'une très vague connaissance des nombres et des statistiques - surtout quand ils on un point de vue à défendre, le point de vue en l'occurrence étant un grotesque mélange d'auto-flagellation simpliste (nous les méchants Occidentaux ultra-gâtés sommes responsables des conditions de vie épouvantables de ces pauvres bons sauvages[*]) et de moralisme vaguement chrétien - on a jeté Marx aux orties, et c'est bien dommage : plus aucune espèce d'analyse socio-politico-économique dans ces couinements des gémisseurs, simplement - le mot est à la mode - de l'indignation. Et j'entendais un "occupeur de Wall Street" déclarer tout de go qu'il faudrait revenir à une économie non monétaire, de "bartering", d'échange. Voilà ceux qui vont réformer le système !
Cela dit, non, vraiment, Apple n'est plus ce qu'il était...
[*] mais attention ! Si ces salauds de pauvres sauvages s'enrichissent, ils vont bousiller la planète !