Dans une ré-émission très récente de la RTBF consacrée à Marc Moulin, présentateur radio, musicien, compositeur, auteur de théâtre, bref "une personnalité à nombreuses facettes ravi trop jeune à la suite d'une douloureuse maladie", qui se décrivait modestement (je ne raille pas, il était modeste) comme un assez bon connaisseur de toutes les musiques, "sauf la musique classique, dite savante". Mais il la connaissait bien, évidemment. Son propos était tout de même assez explosif lorsqu'il déclarait penser que Luigi Nono survivrait moins que "le jazz". Certes, le jazz est de la musique contemporaine, mais je comprends qu' Harry Halbreich récuse cette étiquette et lui préfère (et là je le suis moins) celle de musique radicale, voulant désigner ainsi une musique en rupture - comme l'ont été avant elle toutes les nouvelles formes musicales, qu'il s'agisse de l'Ecole de Notre-Dame, de l'Ars Subtilior, de la musique du Camp du Drap d'Or, de Mozart ("Trop de notes !"), de Berlioz ("Assourdissant !"), de Wagner, de Debussy, de Ravel, de Stravinsky et j'en passe. Sans aucun doute, et le jazz a d'abord été, bien évidemment, traité par la bourgeoisie de "musique de nègres" avant d'être récupéré par les intellectuels et les artistes, puis par la même bourgeoisie qui a fini par adorer ce qu'elle avait voulu brûler. Mais soyons sérieux : A Love Supreme est tout de même - tout sublime qu'il soit - plus accessible que les harmolodies d'Ornette Coleman ou de nombreuses pièces de Charlie Mingus, sans parler des dernières productions de Miles Davis. Il est vrai aussi que les premières pièces atonales de Schönberg datent d'il y a plus d'un siècle et que les extraordinaires Gurrelieder et Verklärte Nacht annoncent déjà sa désaffection envers le système tonal, tout comme Berg accède au dodécaphonisme ("communisme des notes", comme le décrit gentiment Georges-Elie Octors) avec son Concerto à la mémoire d'un ange. Que le sérialisme m'ennuye en général avec son "troisième renversement de la cinquième série" ne saurait évidemment avoir aucune importance, mais c'est tout de même par sa fidélité dogmatique qu'un extraordinaire chef d'orchestre et idéologue dominant de l'Ecole de Darmstadt (j'ai nommé Pierre Boulez, on le devine) a poursuivi Jean Barraqué jusqu'à son suicide, puis a ostracisé jusqu'à Olivier Messiaen.
Nono, tout de même... Como una ola..., Il canto sospeso et Intolleranza resteront - je l'espère - des témoins d'une musique superbe et généreuse, témoins du temps où le Parti Communiste était un phare pour ceux qu'on appelle maintenant avec un peu de mépris des "progressistes".
Et, revenant d'entendre et d'écouter quelques-uns des six quatuors de Béla Bartok, je suis persuadé que ces oeuvres sont immortelles, comme celles de Haydn ou de Beethoven. Peut-être moins faciles d'accès, je l'admets, mais la danse hongroise du cinquième mouvement du quatrième quatuor est le couronnement joyeux des quatre premiers. On se lève, on applaudit, on se sent meilleur...