J'avais promis d'en parler, et pour une fois je tiens mes promesses...
Lucien de Samosate, quelque peu Syrien donc (encore que ce genre de déterminisme géographique soit très douteux) est né en Cappadoce vers 120 de notre ère. La Cappadoce, c'est le Sud-Ouest de la Turquie actuelle pour ceux qui l'ignoreraient, c'est Nemrud Dag et ses extraordinaires statues d'Antiochos Ier, roi de Commagène, avec sa titulature en grec. Car à l'époque on parlait grec un peu partout dans l'Empire romain, et même si Lucien semble avoir voulu faire croire que sa langue originelle était "barbare" (en fait l'araméen), il est plus que probable qu'il était hellénophone "commun" ayant évolué vers un atticisme classique. Pour qui veut mieux connaître la situation de l'époque, il faut lire l'ouvrage (un peu farine à la cuiller à soupe mais très érudit) de Maurice Sartre, D'Alexandre à Zénobie.
Lucien a joui d'un grand succès après sa mort, et bien au-delà. C'était un grand sceptique qui a traversé les siècles jusqu'à Voltaire et Renan (sans parler de Cyrano de Bergerac et de son voyage dans la Lune), méchant (voir son article sur la mort du pauvre Peregrinos), joyeux, belliqueux et polémique. Il détestait les "croyants" et les superstitieux, y compris... les chrétiens dont on commençait à parler à l'époque. Fort intéressant. Lucien parle d'eux en parlant de leur "synagogue", ce qui fait tiquer certains commentateurs même modernes. Et pourtant... Et pourtant ce n'est qu'à son époque que les "Chrétiens" se sont définitivement séparés des Juifs qu'ils étaient auparavant. Le grand schisme chrétien était encore assez jeune pour que les non-spécialistes n'y voient que du feu, ce qui, d'autre part, prouve bien que la propagande chrétienne au sujet des "persécutions" doive être prise avec plus qu'un grain de sel. Aucune haine envers ces gens qui ne sont qu'au moins aussi stupides que ceux qui croient aux fariboles jupitériennes. Jupin n'est pas plus intéressant qu'un quelconque crucifié.
Et Lucien est mort de sa "belle mort". Un anar comme lui - un vrai Epicurien, le seul genre de philosophie qu'il ne détestait pas, à la différence de la belle pensée stoïcienne romaine - ne lui a pas valu de réel problème (on était au temps d'Antonin le Pieux, et à ce sujet, je ne puis que vous encourager à voir le dernier film de Quentin Dupieux, "Wrong", faisant suite à son génial "Rubber". Mais je m'emporte).
Comme je le disais, c'est Lucien Jerphagnon qui m'a fait revivre en quelques lignes enthousiastes ce merveilleux polémiste. J'avais évidemment lu son contemporain, Apulée et son Ane d'or qui est bien mieux connu, mais ces aventures picaresques cachant une révélation mystique n'ont rien à voir avec le chaud rationaliste qu'est Lucien !