Mais tout d'abord, un mot sur l'éditorial du Monde, signé Fottorino (et un peu Furax tout de même). La France est de
toute évidence en pleine crise existentielle, les Français ont la peur du déclassement au ventre et tout - même les ours polaires - est bon pour broyer du noir. Voilà ce que c'est d'avoir eu les
Zécolos sur le tard ; au moins chez nous ils existent depuis belle lurette, ils ont été associés au pouvoir, ça leur a fait perdre quelques illusions et les voici un peu plus réalistes. Par
contre, des frénétiques à la Mamère ou des illuminés à la Lepage, nous n'en avons plus - pour autant que nous en ayons jamais eu ; ici, les Zécolos sont plutôt cathos de gôche et les deux ou
trois trotskards qui y restent commencent à se couvrir de toiles d'araignées. Enfin, tant pis pour Turlupin Ier, il ramasse la veste qu'il mérite.
Ce qui ne nous éloigne tout de même pas de nos chers Ehrlich, qu'on devrait faire citoyens d'honneur de la France geignarde. Pour autant, le Royaume-Uni n'est pas en reste en ce qui concerne le
catastrophisme, et l'année du bicentenaire de Darwin semble y coïncider avec une réhabilitation de Malthus, de ses pompes et de ses oeuvres. Certes, les divagations décroissancistes ont toujours
été au coeur de la Deep Ecology, mais c'était en général un discours extrêmement marginal, réservé à des enragés du type Schumacher (vous savez, celui de "Small is Beautiful", mais aussi d'une
phrase moins connue : "the pressure and strain of living in say Burma [sic], is less than that of living in the United States", ce qui permettait de belles et nobles discussions entre
copains, le soir, après le ciné). Les Ehrlich faisaient - font encore - partie de ces frénétiques, et ce dès les années 60 ; c'est Paul Ehrlich qui a inventé la célèbre P-bomb, la
Bombe P, P pour Population. Enfin, quand je dis célèbre, elle l'a été mais le pétard mouillé avait fait long feu, du moins pouvait-on l'espérer. Il faut dire qu'à l'époque, il y avait
encore beaucoup de marxistes, et le marxisme est un humanisme ; en ce temps-là, le PCF n'avait aucun état d'âme en ce qui concerne les OGM (mais il était encore bien vivant, pas en coma dépassé
comme aujourd'hui) et Philippe Kourilsky rappelle à ce sujet la conversation qu'il
avait eue avec un membre du PCF alors qu'il était à l'Institut Pasteur : "Tout ce qui améliore la connaissance de la matière est bon. Donc, le génie génétique est bon. Il faut
seulement veiller à ce que des représentants de la CGT siègent dans les commissions de culture."
Et donc, les époux Ehrlich nous bombardent depuis plus de 4 décennies de leur prédictions apocalyptiques. Des phrases comme "No sensible reason has ever been given for having more than 135
million people [in the U.S.]" sont évidemment du pur Ehrlich, que reprenaient pas mal de gourous de l'époque, on en était bientôt aux vaticinations du Club de Rome que Claude Allègre semble
apprécier à son injuste valeur, par parenthèse. Evidemment, ça fait toujours mieux de se poser en Philippulus plutôt qu'en Docteur-Tant-Mieux, on y gagne une figure austère et imposante, du moins
entre hommes parce que les filles étaient beaucoup moins impressionnées, mais bref, c'était le temps de ma jeunesse folle etc. Curieusement, c'étaient en général les mêmes qui se tordaient les
mains de désespoir à chaque famine dans le monde (et il y en avait, bien plus qu'aujourd'hui), au lieu de se réjouir de la décroissance démographique qui devait en résulter ; mais il est vrai
qu'ils prêchaient une telle haine de l'Occident que le raisonnement était plutôt du type "quel dommage que ça ne soit pas arrivé chez nous" (notre civilisation moderne est douée d'une
selbsthasse assez étonnante, ce qui, à tout prendre, est plus noble qu'un esprit de corps auto-satisfait, mais qui ne mène pas à grand'chose. Mieux vaut voir les choses sans
parti-pris).
D'après nos aimables prévisionnistes, nous aurions été plusieurs dizaines de milliards en 2000, sauf qu'évidemment, on n'y serait jamais arrivé, en 2000, vu que la démographie galopante allait
provoquer l'assèchement de toutes les ressources, qu'il n'y aurait plus d'eau ni de récoltes, que des hordes de réfugiés allaient errer de par la planète (ça vous rappelle quelque chose ?) et que
les famines décimeraient la population, causant la mort de dizaines de millions d'êtres humains. A ceux qui leur objectaient que Malthus s'était quelque peu trompé sur le sujet, ils répliquaient
avec fougue le sempiternel "Oui, mais cette fois, c'est différent".
Malheureusement pour Paul Ehrlich, son adversaire intime, Julian Simon (virtuellement inconnu chez nous, car c'était un optimiste) lui proposa un pari en 1980, un pari sur l'avenir à quelqu'un
ayant déclaré en 1970 "If I were a gambler, I would take even money that England will not exist in the year 2000" ! Les termes du pari étaient simples : choisissez cinq matières premières ou
manufacturées, peu importe, pour autant que les prix n'en soient pas administrés, choisissez un délai et parions sur l'évolution du prix de ces matières ; moi, je prétends que ce sera à la
baisse. Ehrlich et deux collègues sautèrent sur "l'occasion inespérée", trouvant irrésistible la possibilité de se faire de l'argent facile. Cinq métaux (cuivre, chrome, nickel, étain et
tungstène) sur 10 ans. Résultat en 1990 : Simon a raflé la mise, tous les métaux choisis ayant décliné de prix. Chevaleresque, il proposa aux perdants de se refaire en augmentant la mise
; mais ceux-ci déclinèrent la proposition. Vous trouverez tout cela (et bien plus encore) en lisant le très joyeux The Ultimate Resource de Julian
Simon lui-même.
Absolument toutes les noires prédictions des Ehrlich se sont révélées fausses, et voilà qu'on les invite au New Scientist en septembre 2009 pour un dossier sur la surpopulation supposée.
Et paf ! c'est reparti comme en '70 ! "With more than a billion already going hungry, limiting population growth has to be a priority", merci, on a déjà donné. Puis il y a trois jours, rebelote,
ils publient - toujours dans le NS - une critique élogieuse du nouveau livre de Fred Pearce, Peoplequake, élogieuse mais néanmoins critique, car Fred Pearce n'est pas assez
pessimiste, et que les Ehrlich se fichent pas mal d'un climat détraqué, pour eux, c'est la démographie galopante (qui n'existe que dans leur imagination enfiévrée) qui est la cause de tous les
maux. Notons en passant que Fred Pearce évoque plutôt l'effondrement démographique comme danger avéré, mais peu importe, les Ehrlich assènent leur dogme, qui est toujours et encore celui de
Malthus première version, tout en reprenant à leur compte la gaffe du GIEC sur les glaciers de l'Himalaya.
Laissez les Ehrlich de côté et lisez Julian Simon si vous connaissez l'anglais (inutile d'espérer une traduction !). Vous ne serez pas déçus.
PS: Justement, dans la nouvelle livraison du New Scientist arrivé ce matin sur ma table de petit déjeuner, un entretien avec Stewart Brand, un écolo pur et dur de la première heure, très
californien des années '60. Il a viré sa cuti. Et, justement, son prof de biologie à Stanford était... Paul Ehrlich, qui venait de publier The Population Bomb. Pour reprendre les mots de
Brand : " the whole environmental movement became the population issue. They said, too many humans are the problem, therefore get rid of the humans. Paul's [Ehrlich] view was that we should put
sterilising agents in the water". Pas mal, non ? Mais pourquoi donc ces apôtres du malthusianisme ne se suicident pas au lieu d'appeler les autres à le faire ?