Dans son très joli Le Bonheur des petits poissons, Simon Leys nous rappelle que Sartre n'aimait pas "la Nature" (avec un grand N), ce que je comprends bien. Après tout, je suis un "fan" de Baudelaire, et ce n'est pas pour rien. Il (SL) nous rappelle aussi qu'il (Sartre) trouvait qu'Orson Welles n'était pas un "cinéaste", et ce pour des raisons idéologiques qui nous semblent aujourd'hui passablement hermétiques. En fait, il ne comprenait rien au cinéma.
Sartre pourrait nous dire "je me suis souvent trompé, mais j'assume, donc vous pouvez me croire". Il avait "fait" l'URSS, la Chine et Cuba avec Madame, et il en avait ramené des textes étourdissants d'enthousiasme, dont il devait d'ailleurs reconnaître plus tard qu'il les avait... enjolivés. C'est ça que je ne peux pas leur pardonner, à lui et à tous ceux qui nous ont délibérément menti - pour ne pas désespérer Billancourt. Mais quand Gide n'a pas été dupe, Ehrenbourg lui a craché son mépris, parlant de "vieillard puant à la sale conscience", opinion partagée et reprise par tous ceux pour qui un anti-communiste est un chien (Sartre). Le même Ehrenbourg qui disait "c'est vrai que nos pantalons sont trop larges, mais avez-vous vu la grandeur de nos cimetières ?", omettant pieusement de préciser que son maître Staline avait fameusement contribué à les agrandir.
Sartre n'était pas un tribun, et j'ai vu plusieurs de ses conférences dont l'une pendant la guerre d'Algérie. Il bafouillait. Pour ce qui est de ce sujet, la salle était chauffée, et je buvais ses paroles, même si - rétrospectivement - je ne suis plus aussi convaincu qu'il fallait "porter des valises" bourrées d'explosifs. On change, on change...
Une autre fois, celui qui était un peu le mentor de notre génération bafouillait encore quand Graindorge l'a interrompu en hurlant "Au fait, M. Sartre !", ce qui en disait long sur la cuistrerie et la suffisance du personnage (Graindorge, évidemmentà.
C'était une autre époque, un autre univers, et je ne parviens pas à me défendre d'une certaine tendresse pour ce vieux monsieur qui vendait la Cause du Peuple - misérable gazette, par ailleurs, mais vive la liberté - dans la rue, à la criée. Nous avons nos chanteurs-activistes ; à l'époque, c'étaient des philosophes. Le choix est facile à faire.