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27 juillet 2010 2 27 /07 /juillet /2010 10:55

"Pourquoi ne voyage-t-on pas ? Pourquoi tant d'entre nous se refusent-ils à partir outre-mer, à franchir les frontières de l'Europe ? Par crainte de vérifier un obscur pressentiment. Car la haine qui peut nous saisir en Inde, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient ou en Amérique latine devant les cloaques de boue et d'insalubrité que sont les grandes villes de ces pays, cette haine s'adresse en priorité à nos origines occultées. Nous sommes, en Europe, les enfants gâtés d'une croissance qui a coûté d'effroyables souffrances aux peuples qui la composent, nous sommes les héritiers d'une histoire de sueur et de sang dont nous ne voyons, aujourd'hui, que les fleurs, mais qui a poussé sur les charniers. L'Occident, il y a peu, n'était lui aussi que cette vaste aire d'épandage où grouillaient miséreux et cloportes, tandis qu'une minorité de riches étalait un luxe insolent (n'oublions pas que la faim a frappé en Europe jusqu'en 1955, pour l'Ouest, et jusqu'au milieu des années 60 à l'Est). La visite de telle cité orientale ou nord-africaine restitue d'un coup une dimension fondamentale que nous avions oubliée : celle du rouleau compresseur que fut le développement du capitalisme. Ces vagabonds, ces serfs, ces fous et assimilés, dont Karl Marx, dans les premiers livres du Capital, a décrit le déracinement dès le XVIIIe siècle, ce peuple dépossédé, arraché à l'éthique familiale, aux vieilles solidarités rurales, c'est bien le cadre dans lequel nos sociétés industrielles se sont déployées. C'est une exploitation atroce, une oppression sans frein qui ont permis notre aisance actuelle. Nous descendons de si peu, tel est notre dégoût.
Ainsi, dans la prolifération des bidonvilles du Tiers-Monde, nous lisons le filigrane de notre histoire. Arpentant les rues de Dacca, de Bombay, de Djakarta, de Manille, de Marrakech, de Bogota, on contemple à ciel ouvert les racines de notre civilisation, on parcourt sur le vif un roman de Hugo, de Dickens ou de Zola dont les personnages se seraient mis soudain à proliférer en chair et en os pour notre plus grande terreur. Toute la littérature du XIXe siècle, qui n'est qu'un long commentaire sur la dégradation de millions d'individus résultant des stades initiaux du développement industriel, retrouve ici son actualité. Ces implorants chassés de leurs villages, ces sous-prolétaires taillables et corvéables à merci, pourraient être nos aïeux, épuisant leur souffle dans quelque mine insalubre, se tuant à la tâche pour un salaire risible. Votre Occident radieux a pour socle un cauchemar et pour base une hécatombe voilà ce que nous soufflent les indigents du Tiers-Monde. A travers cette dévalorisation de l'homme par l'homme, notre culture se montre du doigt par le biais d'un masque exotique : image de notre genèse et du gouffre où nous pourrions retomber si, par quelque infortune, notre opulence venait à disparaître. "

 

Qui donc a écrit ce texte violemment Tiers-mondiste légèrement teinté de marxisme ?

 

Tout simplement Pascal Bruckner, dans son célèbre Sanglot de l'Homme blanc, ce qui lui avait valu d'être immédiatement catalogué comme de droite, et si pas de l'extrême, au moins de la sale droite, nostalgique du colonialisme, arrogante et raciste, méprisante, etc. La "nouvelle droite", quoi. Une de mes amies fort portée à gauche avait d'ailleurs à l'époque - toujours lors d'un dîner en ville - démoli brillamment ce livre détestable et son auteur qui ne l'était pas moins ; lorsque je lui demandai si elle l'avait lu, elle me répondit que non, naturellement, elle n'avait ni le temps nécessaire ni l'envie de gaspiller son argent pour une pareille futilité. En somme, le jugement du Monde Diplomatique lui suffisait, ses satisfecit comme ses ostracismes, et Bruckner allait rejoindre V.S. Naipaul dans les poubelles de ce qui n'était pas encore une Ramonetterie. Après tout, c'est comme avec Huntington, il suffit de lire le titre du livre pour savoir de quoi il s'agit, on ne va pas s'embêter à lire un livre aussi évidemment déplaisant. Choc des Civilisations ou Sanglot de l'Homme blanc, ça sonne mal, l'un est politiquement douteux et l'autre sarcastique.

 

Mais qui n'est pas victime parfois du prêt-à-penser ?

 

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commentaires

L
<br /> <br /> Je ne parle pas de Sartre mais, disons, de gens qu'il a dû, j'imagine, couvrir (vous me direz si sur ce point je me trompe) : était-ce du courage de se faire porteur<br /> de valise de terroristes qui assassinaient nos comptatriotes ou était-ce plutôt pure et simple trahison ?<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> V.S. Naipaul, un grand, un très grand. Je recommande tout particulièrement A la courbe du fleuve.<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Parfaitement d'accord avec vous !<br /> <br /> <br /> En ce qui concerne Le Sanglot de l'homme blanc, je me dois de citer une très belle phrase au sujet de la Gauche désillusionnée : "à la langue de bois des dévots succède la gueule de bois<br /> des éconduits" aussi brillante dans sa forme que juste en son fond... Je pense rédiger un post sur ce livre "maudit" ne serait-ce que pour rappeler certains commentaires de l'époque amplement<br /> produits dans le Monde diplomatique (ça va de soi, même du temps de Claude Jullien), mais aussi dans Témoignage chrétien, venant de gens que j'apprécie comme K.S. Karol et même<br /> de Sartre qui m'a tellement impressionné en ma jeunesse - il en a sorti de lourdes, mais il avait du courage durant la guerre d'Algérie, et j'ai toujours un faible pour celui qui s'est<br /> constamment trompé dans (presque) tous ses engagements. Son mépris pour Camus (moins prestigieusement diplômé) est évidemment assez lamentable ("écrivain pour adolescents" or words to that<br /> effect), mais je me souviens tellement bien du jour de l'accident et de la mort de Camus où notre prof de philo nous a demandé une minute de silence, à nous - adolescents - qui préférions Sartre<br /> à Camus. Nous avons obéi, pas du tout par obéissance, mais parce que, malgré les restrictions dudit prof par rapport à L'étranger, nous avions compris que le roman de l'absurde était<br /> plus prégnant chez Camus que, disons, dans Le mur.<br /> <br /> <br /> Je reconstruis sans doute...<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> <br /> Il faut une bonne connaissance de l'histoire, et une certaine sagesse, pour être conscient de ce passé et du court trajet qui nous en sépare. Mais il me semble que Pascal Bruckner est en<br /> admiration devant lui-même! Ce que je suis intelligent, devait-il se dire. <br /> <br /> <br /> Car ce passé à peine révolu est massivement méconnu, et ne semble pas du tout inhiber les amateurs de voyages lointains et exotiques, à la rencontre des bons sauvages, si possible. Avec le<br /> souhait tout à fait conscient qu'ils le restent, pour ne pas venir nous faire concurrence en goinfrerie énergétique et consumériste!<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Que Pascal Bruckner ne soit pas un monument de modestie, je veux bien vous l'accorder ! Pour ce qui est du tourisme de masse, il ne concerne certainement pas ceux que PB appelle "nous" ; et<br /> l'éco-tourisme, le tourisme "alternatif", "respectueux des hommes et de l'environnement" et autres inepties, celui-là - furieusement à la mode, mais suscitant plus d'enthousiasme théorique que<br /> qu'il ne génère de commandes fermes - me fait penser d'après les descriptifs à la visite d'un zoo ou d'un parc à thème, en effet. Surtout que ces sauvages le restent ! Ils ont tellement de<br /> fierté, d'élégance, de courage dans leur dénuement !<br /> <br /> <br /> <br />