On fait beaucoup de cas actuellement des dérives possibles des régimes à venir en Tunisie et en Libye, parlant avec une méfiance (justifiable sinon justifiée) des références à la source de droit islamique, la charia (le chemin).
Je ne suis pas arabisant ni islamologue, et donc mon point de vue est celui d'un amateur éclairé ayant passé quelques années dans la coopération en Algérie, cherchant passionnément à comprendre une civilisation qui, en son temps (disons, jusqu'à la fin officielle de l'idjtihâd - cela est très discuté) était bien plus ouverte que la nôtre, romano-chrétienne pour résumer.
Le monde musulman comprit très vite dès la mort de Mohammed que les préceptes du Coran étaient extrêmement lacunaires. Il y avait certes des injonctions fortes, mais soumises à révisions selon les sourates postérieures. Il fallait donc compléter, amender, ajouter, voire corriger. Ce fut donc, avec l'arrivée d'autres sources que les Arabes, et notamment celle des Persans, des Syriens et des Irakiens (et d'autres encore), le principe des hadîth-s : "Untel, fils de Untel, rapporte que Untel a entendu le Prohète dire que... [c'est ce qu'on appelle traditionnellement "la chaîne des garants", l'isnâd]", etc. Bien sûr, tout cela allait dans tous les sens et ça faisait un peu désordre, mais c'était la base de la sunna. Il fallait plus, et mieux. On inventa alors le rây (en gros, "bon sens" - Goldziher le traduit par opinio prudentium en accord avec le corrigere jus propter utilitatem publicam [rectifier le droit en vue de l'utilité publique] du droit romain) et le qiâs (analogie) pour avancer. Après de nombreuses discussions et étripages il en résulta les quatre écoles (dites bizarrement rites) classiques du sunnisme (le chiisme ou le soufisme, c'est encore autre chose, et je m'y connais encore bien moins) : hanafite, chaféite, malékite et hanbalite, qui diffèrent selon les régions, mais qui sont toutes admissibles sans aucun problème. Certaines sont plus strictement coraniques, d'autres sont plus libérales, mais on peut passer d'une interprétation à l'autre sans tomber dans l'anathème ou la kaffiriya (le paganisme).
Ces quatre écoles sont-elles le summum de l'Islam (comme Mohammed est le sceau [le dernier] des prophètes) ? Certes non. Malgré toutes les résistances, et malgré le fait que l'Islam mêle intimement le Politique et le Religieux, il y a encore de nouvelles lectures, mais toujours sous l'égide coranique. Ainsi, certains docteurs de la Loi (très minoritaires, je l'admets...) estiment que la polygynie n'est acceptable que si chaque femme reçoit un traitement strictement identique (majeure) ; or, un tel traitement est impossible (mineure) ; ergo la polygynie est interdite. Je ne sais trop si c'est un BARBARA, un CELARENT, un DARII ou un BARALIPTON (*) ou quelque autre syllogisme, mais ça me plaît assez...
Pour en savoir plus (car tout ça est bien plus compliqué que ci-dessus) : évidemment le merveilleux et indispensable Maxime Rodinson (ici, son Mahomet, mais il en a écrit tant d'autres ! et passionnants !), le très exigeant Laoust sur les schismes dans l'Islam, et aussi le "roboratif" (je déteste ce terme galvaudé, mais juste en l'occurrence) Les Assassins de Bernard Lewis.
(*) Asserit A, negat E, etc... On n'apprend plus ça à nos rejetons, et c'est dommage.