Wang Bing nous avait livré en 2003 son fascinant "documentaire" A l'ouest des rails, tryptique hallucinant, longue méditation (neuf heures !) sur la transition, sur la Chine, avec une sobriété de moyens commune à tous les réalisateurs dits de la sixième génération. Mais là où Jia Zhangke dans 24 City joue la (fausse) carte de la (vraie) transparence avec un mélange de personnages réels et d'acteurs, sans qu'on sache qui est qui (et d'ailleurs, on s'en fiche), Wang fait rejouer par les protagonistes de ses histoires des séquences parfois spontanées, parfois reconstruites, un peu à la manière d'une ligue d'impro. Le résultat fait beaucoup penser au "cinéma anthropologique" de Jean Rouch, mais en moins rébarbatif, sans doute parce qu'il n'est pas de l'anthropologie, justement, qu'il n'a pas de visée théorique élaborée ; il regarde, il voit, il rapporte, parfois avec maladresse (l'autofocus qui pompe...), mais une maladresse très calculée, et c'est passionnant.
L'argent du charbon suit quelques personnages hauts en couleur (les clichés, j'assume) qui échangent du charbon contre des yuan, du mauvais charbon venant semble-t-il de Mongolie, du Shanxi ou de Hebei, et allant, semble-t-il, à Tianjin, et il importe peu où ça se passe quand on y pense. Les énormes camions à remorque se croisent, s'évitent, se cabrent, se remplissent à la queue-leu-leu de pelletées de charbon extraites d'une mine en plein air (achetée 65 millions de yuan par un personnage improbable coiffé d'un casque rouge), puis ils s'en vont, rackettés par la police et les officiels (à peine - ce n'est pas un film de dénonciation, ce n'est pas non plus du Thierry Michel), à la recherche quelques centaines de kilomètres plus loin d'un acheteur dont on ne sait rien, sinon qu'il est lui-même (ou elle-même) un middleman, et que la chaîne se déroule dans un infernal opéra chinois rempli d'acteurs et de figurants qui se disputent pour 10 yuan, s'engueulent, se tapent sur le ventre, crachent, fument, rigolent ou font la tronche, très loin (mais ça, on le savait déjà) de l'image des impassibles et énigmatiques fils de l'Orient.
Et tout de même, en voyant ce tournoiement de camions tirant leurs trente-cinq tonnes de charbon, cette activité frénétique dont on devine bien qu'elle se déroule dans de nombreux endroits de la Chine, on se prend à douter de l'utilité de mettre trois éoliennes à Louvain-la-Neuve pour donner bonne conscience aux étudiants. On pense aussi aux 300 millions de tonnes extraites chaque année en Australie et convoyée par des camions (les road-trains) un peu plus techno que les PL chinois... Ah oui, l'Australie a fini par ratifier le protocole de Kyoto, avec des intentions très fermes :
"Australia has signed up to cut greenhouse gas emissions to 108 percent of the levels they were in 1990. That means we want our greenhouse gas emissions to be just eight percent more than they were 19 years ago – this is our target."
On se moque de qui ?
PS : Je viens de recevoir ceci. Amusant
PPS : Rébarbatif, Jean Rouch ? Regardez son "Cocorico, Monsieur Poulet", c'est à se tordre !
PPPS : l'Australie s'est reprise et a envoyé ses ministres écolos aux oubliettes...