Oui, c'est avéré, Omar Bongo, Teodoro Obiang et Denis Sassou Nguesso
sont d'affreux dictateurs, des prédateurs et des charognards qui ont sucé le sang de leur peuple misérable. Comme Mobutu Sese Seko, comme Boni Yayi, comme...à peu près tous les autres subsahariens, en somme. Et on doit se réjouir qu'enfin il soit question de faire rendre gorge à ces
spoliateurs, puisqu'une juge du pôle financier de Paris a jugé recevable une plainte déposée par Transparency International -
organisation éminemment respectable, tout le monde en convient - contre les trois chefs d'Etat (pour autant qu'il y ait un Etat dans ces pays) précités).
J'ai des doutes. On entend régulièrement Maître Beauthier proférer des paroles vengeresses, agiter la déclaration universelle des Droits de l'Homme et invoquer les lois de compétence universelle,
oui, il est sans doute dans son rôle, mais je ne suis pas convaincu. Pour tout dire, cette volonté de compétence universelle me semble absurde (et d'ailleurs la Belgique a vite fait marche
arrière à ce sujet), car enfin il s'agit de mener une enquête judiciaire, pas de réaliser un article ou un documentaire filmé du type J'accuse, et dans nos principes de droit
une instruction doit être à charge et à décharge, on le sait assez, même s'il est question de faire passer le droit français au régime accusatoire (*). Et l'on voit mal un Bongo se prêter à un
tel jeu, tout comme on a vu ce que pensait Omar Hassan el-Bachir de son inculpation par le TPI ; encore celui-ci présente-t-il un degré d'autorité plus élevé qu'un tribunal national, fût-il
français, c'est-à-dire inspiré par les plus nobles principes etc.
Car enfin, ce genre d'action judiciaire est un peu une manière de se draper dans le Droit et la Justice, de donner des leçons d'Occidental, en quelque sorte (et dieu sait que je ne suis pas un
Homme Blanc
Sanglotant). Mais je remarque tout de même que la Belgique a backpedaled quand on a déposé plainte contre Bush...
Marcel Gauchet a
bien montré qu'une "politique des Droits de l'Homme" est un oxymore, ou à tout le moins une impossibilité, même s'il ne prône pas la raison d'Etat ; mal gré qu'on en ait, celle-ci existe
pourtant, et s'il est sûr qu'il faut la manier avec beaucoup de précaution, il n'en reste pas moins qu'a dose de soupçon (mais insoupçonnable - mission impossible) elle peut être utile.
Je le répète, la bonne conscience (même juste et justifiée) occidentale ne mènera qu'à des situations de rupture, car qui empêchera un juge, disons ivoirien, d'engager une action contre Trublion
Ier au motif qu'il aurait détourné l'argent du contribuable français en triplant d'autorité son propre salaire ? Ce deviendra un sport d'émettre des mandats d'arrêt internationaux contre les
chefs d'Etat - qui ont tous l'un ou l'autre squelette dans le placard.
Lors de l'inculpation de Pinochet par le juge Garzón, une mienne amie, de gauche et espagnole par surcroît, m'avait fait part de son malaise, car il lui semblait évident que c'était aux juges
chiliens de juger ce sinistre assassin (**), et pour une fois nous étions d'accord.
Mais comment aussi ne pas ressentir du malaise de voir ces requins se la couler douce ?
(*) On entendra enfin des "objection, votre Honneur" dans les tribunaux français ! Perry Mason à Trifouilly-les-Oies !
(**) Qui, soit dit en passant a pas mal de sang sur les mains, mais moins qu'un Castro-Che et infiniment moins qu'on Mao Zedong. Je dis ça pour me faire encore
plus d'amis.