On en parlait beaucoup de cette production, Le Barbier de Séville, mise en scène par notre immmmmmense Jacques Delcuvellerie. On allait voir ce qu'on allait voir.
J'ai vu. J'aurais voulu m'enfuir après dix minutes, mais diverses raisons voulaient que je reste.
Je m'explique : tout d'abord, Le Barbier n'est pas la pièce la plus intéressante de Beaumarchais, son Mariage étant bien plus subversif et persifleur (toujours dans les limites du raisonnable,
d'ailleurs. Beaumarchais est un personnage fascinant, mais sans doute pas un auteur indépassable) ; peu importe, j'avais choisi de le voir en me régalant à l'avance de cette belle langue
du XVIIIe que j'aime tant. Devant la scène, au parterre, un joli clavecin français me faisait déjà frétiller de plaisir.
Ça se gâte vite. En prélude au lever de rideau, un motard en équipement complet traverse la scène en gesticulant, puis il retire son accoutrement et se met au clavecin. Aïe, me dis-je, ça
commence mal, vraiment mal. Serait-ce une très vague allusion au fameux chat noir ? Mais non, c'était l'opéra, ça ! Bref. Commence alors le spectacle proprement dit. Le dispositif
scénique est indigent, une espèce de bloc de béton avec l'inévitable balcon bien en évidence (quelle trouvaille !). Quand on pense qu'Anish Kapoor a été roulé dans la farine par certains pour sa
scénographie belle et inventive du Pelléas ! Almaviva et Figaro, détonnant de concert, se mettent à chanter leur texte sur des airs divers, j'ai oublié précisément lesquels, en
vrac du Gilbert Bécaud, le thème de la Panthère Rose, les Roses Blanches et Jeanneton prend sa faucille. Parfois, ils parlent, ou plutôt ils crient, glapissent, s'exclament, font des moulinets
avec les bras, déclament faux avec force gestes. Une pitrerie généralisée, qui évidemment suscite les rires et l'approbation d'un public largement composé de classes du secondaire avec leur prof.
Comble d'imagination, le piteux metteur en scène fait jouer de larges extraits du Barbiere, et toute la scène de la calomnie est interprétée dans sa version exacte dudit
Barbiere. Trahison !
Certes, le Barbier n'est pas une tragédie, c'est un divertissement demandant entrain et truculence. Mais ici, on tombe au niveau de la fête de patronage, et d'ailleurs impossible de se référer
aux acteurs puisqu'ils jouent atrocement faux "exprès". Sauf Bartholo, je l'admets, qui a de l'abatage et de la présence mais qui en est réduit à imiter constamment Louis de Funès et à faire des
grimaces. La Jeunesse et l'Eveillé, ou le notaire, ou le claveciniste qui se révèle reuckeur tatoué méprisant la
musique "classique", je n'en parlerai pas, ce serait trop cruel. Attention aussi à la diction, qui dérape dangereusement et rappelle parfois Janin et Liberski... De très nombreux passages étant,
je l'ai dit, glapis, et donc incompréhensibles, finalement on ne suit plus très bien l'histoire, il faut se fier à sa mémoire.
Et c'est long... Dieu que c'est long ! Interminable. Mais soyez sûr que les critiques (qui n'éreintent jamais un spectacle théâtral, donc vivant, et je le comprends, car les
acteurs font leur possible, même si le possible n'est pas trop convaincant) diront qu'ils n'ont pas vu passer le temps, que c'est un spectacle pétillant, enlevé, délicieux - et probablement
décalé, le mot passe-partout le plus utilisé à tort et à travers depuis dix ans. Heureusement, roboratif est tombé dans l'oubli après avoir sévi une bonne décennie lui
aussi.
Pendant le désastre (entre deux plongées dans le sommeil) je me disais que, tant qu'à "innover", "dépoussiérer", pourquoi ne pas prendre dans le texte ce qui pourrait donner un autre sens à
Bartholo, plus sombre, plus tragique, même ?
Ah oui, dans le programme, on précise que si Delcuvellerie utilise Frank Zappa et le Rock Progressiste (pas "progressif", svp !), ce n'est en aucun cas pour «faire anachronique». Oh non ! bien au
contraire!