J'ai déjà évoqué la notion controversée de progrès, et je ne peux m'empêcher d'y revenir. Il y a encore un petit siècle, il était de bon ton de voir dans l'Evolution (darwinienne) un hymne au progrès, de la bactérie à l'Homme, trônant dans toute sa gloire et son unicité, lui le plus parfait des êtres vivants. Progrès biologique, progrès social, les deux allaient main dans la main des penseurs libéraux (je rappellerai une fois encore que le fameux survival of the fittest est de H. Spencer, et non de Darwin, quoi qu'en pense et en écrive le ridicule Rémy Chauvin).
Il est devenu de bon ton pour les... progressistes de contester la notion même de progrès, et pas nécessairement par idéologie relativiste et égalitaire ; en effet, un insecte ou un poisson (disons) parfaitement adapté à sa niche écologique improbable est à un optimum d'évolution. Mais les optimums (et non pas optima, sauf à décliner comme en latin) sont locaux, comme on le sait, il peut y en avoir beaucoup, et c'est évidemment le cas dans les espèces vivantes. De même, la sociologie et l'anthropologie nous montrent à satiété des sociétés bien adaptées à leurs conditions, et il n'y a pas de raison absolue de penser que la société anglaise de 1859 (année de la publication de On the Origin of Species) est supérieure absolument à l'organisation des Bororos ou des Fuégiens de l'époque.
Bien. Quand tout ceci reste dans l'abstrait et le théorique, on peut encore acquiescer. On peut tout de même préférer les sociétés démocratiques occidentales à celles qui pratiquent l'esclavage, les mutilations sexuelles féminines et les sacrifices humains, même si on pourvoit ces dernières des meilleurs progrès de la technique, comme l'eau courante, les antibiotiques, les anesthésiques et les épingles de nourrice. Certains vont évidemment bondir et me traiter de sale occidentocentriste - voir de facho - mais ils doivent être assez rares.
Allait-on s'arrêter là ? Certes non ! Darwin avait déjà causé une certaine pagaille en dépossédant le dieu des Anglais (et accessoirement des autres aussi, mais plus tard, et avec de nettes réserves - la biologie française n'a toujours pas avalé le darwinisme) de nombre de ses prérogatives supposées, il n'en restait pas moins l'Homme, fait à l'image de son créateur ou vice-versa, parfait, intelligent, bon, moral et tout. Or, il devenait de plus en plus évident que l'Homme n'était somme toute qu'un animal lui aussi, un Primate, un grand Singe plus précisément, soumis à l'évolution et fruit de celle-ci. Pour ôter toute espèce d'ordre divin de l'Homme, il fallait donc le bêtifier complètement, lui retirer précisément son humanité. On s'amusa donc à ce petit jeu stupide :
- tel, tel ou tel trait est spécifiquement humain, tout de même !
- pas du tout, car on le retrouve chez tel, tel ou tel animal
- oui, mais celui-ci est vraiment exclusif à l'Homme
- mais non, figurez-vous que les ... le possèdent aussi !
etc. Petit jeu stupide, car on peut toujours définir un ensemble de traits qui désigne une seule espèce, et avec un peu de bonne volonté (et parfois beaucoup de mauvaise foi) on peut toujours interpréter les comportement d'un chimpanzé, d'un bonobo ou d'un dauphin à la lumière des comportements humains... On a en mémoire les fameux chimpanzés Washoe et Nim Chimpsky, dont il faut bien constater que les espoirs un peu naïfs qu'ils avaient suscités n'ont pas vraiment été récompensés, c'est le moins qu'on puisse en dire.
Mais, pour tout dire, un certain Monsieur Will Barium, de Toronto, mérite le mot de la fin :
There is not much that is uniquely human - except art, cooking, religion, humour, sport and terrestrial dominance.
Je me permettrai modestement d'ajouter : and blogging.