Il était une fois, il y a bien longtemps de cela - disons un petit demi-milliard d'années - un gène qui réglait l'équilibre aqueux d'un certain poisson. Quel poisson exactement, nous ne le savons pas ; appelons-le Arthur. Pour Arthur et ses congénères, l'équilibre de l'eau, c'était très important ! S'ils nageaient dans de l'eau trop salée, ils risquaient de se déshydrater, et si l'eau était trop douce, ils allaient gonfler comme des ballons - tout cela bien sûr à cause de la fameuse pression osmotique qui tend à égaliser les concentrations (ici, de sel) de part et d'autre d'une membrane (ici, leur peau).
Or, le gène d'Arthur était d'humeur baladeuse ce jour-là ; il faut dire qu'il avait eu un petit accident et s'était dédoublé, pour l'une ou l'autre raison, il ne le savait trop. Et son alter ego s'en alla établir sa niche un peu plus loin, sur le même chromosome. Leurs enfants, Ocytocine et sa petite soeur Vasopressine, étaient bien décidés à mener la grande vie...
Non, je ne vous prends pas pour des demeurés, c'est sans doute moi qui retombe graduellement en enfance. L'Ocytocine et la Vasopressine sont des polypeptides très semblables (puisqu'ils proviennent d'un gène dédoublé) qui remontent donc à des centaines de millions d'années, et qui se sont transmis quasiment tels quels chez tous les Vertébrés actuels. Ce sont toutes deux des hormones sécrétées par l'hypophyse - la pituite des Anciens - ayant des effets très différents : tandis que la Vasopressine continue à réguler la balance de l'eau (essentiellement par les reins), l'Ocytocine, elle, régule la lactation et les contractions de l'utérus pendant la mise bas. Mais là ne s'arrête pas son influence : en effet, l'Ocytocine est également un neurotransmetteur du cerveau, et son influence est puissante dans tout ce qui a trait à la sexualité, au bonding tant entre partenaires qu'entre mère (père aussi, mais moins) et enfant, aux relations sociales harmonieuses etc. On a aussi montré que l'Ocytocine était la "molécule de la confiance".
Tout ceci n'est pas neuf, mais c'est de la bonne science, établie et confirmée. Ce qui l'est moins, mais qui est prometteur et passionnant, c'est la découverte assez récente des "neurones miroirs", des neurones du cerveau qui déclenchent lorsque le sujet regarde un autre sujet qui l'imite. Vous souriez, et votre voisin d'en face sourit lui aussi, paf ! c'est parti pour une volée d'impulsions de ces fameux neurones miroirs. Inutile de dire qu'on a vite échafaudé des hypothèses hardies sur ce phénomène (*), qui expliquerait les dons d'empathie et même une partie de l'acquisition du langage. Encore trop tôt pour le dire, mais une expérimentation toute récente, celle-là, semble bien confirmer certaines de ces hypothèses.
Alors, il est tentant de faire le lien entre ces deux systèmes de relations sociales, sentimentales, d'empathie et de sympathie, et d'imaginer un grand système limbique associant l'Ocytocine, ses récepteurs, et les neurones miroirs... sauf qu'anatomiquement, ces derniers sont tout de même un peu loin, mais enfin...
On peut rêver.
(*) A ce propos, voir une critique assez sévère mais justifiée de Robert A. Burton dans son A Skeptic's Guide to The Mind. En fait, cette histoire de neurones-miroirs s'est largement dégonflée...