J'ai toujours été étonné qu'un livre aussi simple à lire que "The Clash Of Civilizations" ait empêché tant de ses commentateurs d'aller plus loin que le titre. Enflammés par ce qu'ils pensaient être une déclaration de guerre, ils chargeaient alors Huntington de toutes les tares possibles, jusqu'à faire de lui un WASP arrogant. Je ne connais pas personnellement Huntington, et peut-être est-il un WASP arrogant, mais qu'importe ? Quand bien même il serait végétarien ou vélocipédiste, en quoi cela affaiblirait-il son propos ?
Qu'il existe quelques blocs régionaux et/ou humains en interaction plus ou moins pacifique ne semble pas une découverte prodigieusement neuve ; Huntington a mis en ordre théorique, avec ses points de vue, ce qui pourrait passer pour un crypto-truisme. Mais c'est compter sans l'air du temps et tous les chantres cucul gnangnan du type "nous sommes tous frères, il faut s'aimer les uns les autres" etc. Addendum du 7/7/2015, maintenant il faut dire "le vivre ensemble", même ceux qui ne veulent nullement "vivre ensemble" le proclament avec force et violence. Ce "vivre ensemble" nous était encore seriné par une conne amie d'une amie bien après le massacre de Charlie Hebdo. Eût-elle comme enseignante affrontée aux classes du secondaire où les élèves se levaient d'un bloc pour dire "Ouais, il fallait les tuer, ces salauds !". I rest my case.
Précision utile tout de même : je ne prêche évidemment pas l'hétérophobie et la haine de l'autre (quand je dis "utile", je devrais dire "regrettable" tant il est vrai que les procès d'intention font rage dans cette matière). "Clash" peut se traduire par "choc", il peut aussi se traduire par "conflit" - comme dans "clash of interests", "conflit d'intérêts". Personne ne niera que l'Europe et les USA sont séparés par de nombreux conflits et pas seulement d'ordre économique, mais il est tout aussi clair que si ce sont des rivaux, ce sont aussi des alliés. Nul ne cherche à "enterrer" l'autre, pour reprendre le mot célèbre de Krouchtchev ; à l'époque, c'est vrai, le monde était plus simple, et à tout prendre moins dangereux (je ne demande pas l'assentiment général sur ce point !).
Il y a évidemment beaucoup de critiques à faire sur ce livre - ainsi par exemple les nuances à apporter au sujet du vieil antagonisme sunnites/chiites, mais malheureusement celles que j'ai lues restent souvent au niveau polémique et d'un tiers-mondisme affligeant et antique (l'inénarrable Gunder Frank n'étant évidemment pas en reste ! Il faut lire son "Dialogue oui - Civilisations non !" où il prône le dialogue mais récuse l'existence de "civilisations" ; on se demande ce qui peut bien dialoguer... Ah oui, les hommes ! Mais si on récuse comme trop globale la notion de "civilisation", comment diable accepter celle d'"hommes" ? Etc. etc. Débat d'un autre âge, celui justement des Gunder Frank et al.).
Je m'égare un peu, comme d'habitude. C'est une anecdote me revenant en mémoire quae fecit versum. Le 28 mai 1998 à 3h15, un technicien du Pakistan Atomic Energy Commission appuyait sur un bouton en murmurant "Allahou akbar" ; trente-cinq secondes plus tard - on a dit, et ça me semble vraisemblable et compréhensible, que certains observateurs présents priaient durant ce temps - cinq bombes à fission explosaient dans le coeur d'une montagne du Belouchistan. La nouvelle de cette réussite fit descendre de grandes foules dans les rues de toutes les grandes villes (et dans d'innombrables plus petites) musulmanes. Le Prophète avait sa bombe, enfin !
Dans un prochain épisode, je vous conterai l'histoire de l'opération Shakti ; quand l'Inde fit à son tour, quelques jours plus tard, exploser 5 engins nucléaires, provoquant une allégresse générale et folle dans tout le pays (et il est peuplé...). Kali avait sa bombe, enfin !